De la politique à la poétique ou l’accomplissement d’un engagement total dans Sawru gumdo (bâton d’aveugle) de Kaw Touré.
"Je n´oublierai jamais, moi, la vie mouvementée d´Exilé, pourchassé de ville en ville, les journées sans but et les nuits longues interminables où le mal du pays vous tient l´oeil ouvert et vous déchire les entrailles". Tène Youssouf Gueye auteur de "les Exilés de Goumel" assassiné dans la prison mouroir de Oualata par le régime ethno-génocidaire de Nouakchott.
Après notre première conférence de presse historique après plus de 27 ans d´exil , je quitte Nouakchott, la capitale pour mon village natal dans le Fouta mauritanien. Arrivé à un poste de contrôle dans le Sud du pays, notre voiture s'arrête :
Derrière le sourire permanent de ce combattant de la liberté se dessinent les souffrances de l´exil, de la torture, de la prison et de la solitude. La vie de Mouhamadou ou Kaaw Touré pour les intimes est toute une histoire. Histoire d´amour pour la liberté mais surtout l´amour pour son pays et son peuple. Kaaw qui vient de célébrer ses 40 ans le 11 novembre dernier a passé la moitié de sa vie en exil entre le Sénégal et la Suède.
Conscience
politique précoce
C´est en decembre 1987 que KaawTouré,
pourchassé par les autorités mauritaniennes, quitte Djeol, son village natal
situé dans le Sud de la Mauritanie en Afrique de l´Ouest pour rejoindre Dakar
la capitale du Sénégal voisin. Exil provoqué par la repression de son
mouvement, certes, mais surtout par l´ardent désir de continuer une lutte
engagée dès l´âge de 15 ans. Conscience politique précoce donc, qui dès les
années du collége et lycée est venue troubler une trop courte période résérvée
à la naïveté de l´adolescence:"Le milieu dans lequel j´étais et grandi m´a
très tôt influencé, dit-il. Ensuite, il y a la situation politique du pays.Tu
ne peux pas rester insensible à ce que tu subis au quotidien si tu as un
minimum de dignité. Les provocations, la discrimination envers les Noirs à
l´école, dans l´administration, dans l´armée, dans la rue, partout".
Militant du Mouvement des Eléves et Etudiants Noirs, il
participe à l´organisation de manifestations culturelles, à la mise en place de
conférences en présence d´intellectuels descendant de la capitale et à la publication
d´un journal scolaire. C´est en mars 1983, date de la création des FLAM, que le
discours politique de Kaaw et de ses camarades prend une autre envergure.
Fusion de plusieurs mouvements politiques, dont celui des étudiants et des
éléves, anti-raciste et anti-esclavagiste par essence, les Forces de libération
africaines de Mauritanie FLAM se veulent d'être une organisation non ethnique
et non raciale dont l´objectif est d´éradiquer toute forme d´oppression et de
discrimination en Mauritanie. Le manifeste du négro-mauritanien opprimé publié
en 1986 sonnera le point de départ de cette nouvelle donne:"Nous avions
fait une analyse en montrant chiffres à l´appui les caracteristiques et les
manifestations de la discrimination dans tous les secteurs de l'Etat" .
Coup d´envoi d´une prise de conscience politique mais aussi début de la
clandestinité. Du 4 septembre 1986 jusqu´au début de janvier 1987, une centaine
de militants , d´intellectuels et d´étudiants sont arrêtés. Kaaw en faisait
partie. Il avait à peine 19 ans. Kaaw se souvient comme si c´était hier de son
arrestation. Il revoit encore la dizaine de gendarmes et gardes venus encercler
leur maison, la frayeur dans le regard de sa mère et la dernière prière du
matin juste avant de se faire passer les menottes comme un criminel dit kaaw.
La
prison et tortures
Il se souvient également de la torture, "du supplice
du jaguar" et de cette matraque qui s´abattait sur les plantes de ses
pieds quand, immobilisé par des barres de fer, recroquevillé sur lui même et
retourné la tête en bas, le sang lui giclait des yeux. Pendant une semaine
d´interrogatoire : "ils voulaient que l´on avoue avoir porté atteinte à la
sûreté de l´Etat et être membres d´une organisation terroriste. Nous étions
enfermés dans le noir. A plusieurs dizaines dans une petite cellule. Sans aucun
sanitaire, sans aucune fénétre. On manquait d´air. A la limite on était content
de se faire interroger dans la salle de torture parce que l´on pouvait voir la
lumiére du jour et respirer un peu". Suivront un mois de détention et un
simulacre de procès sans avocats. "parfois nos geôliers versaient du sable
dans nos repas ou de l´eau pour dire que nous n´étions que des sales nègres et
esclaves".
Les plus influents prirent quatre, cinq ans voire plus
avant d´être transférés plus tard dans l´enfer de Oualata. Cet ancien fort
colonial devenu prison-sanctuaire, trônant au milieu du désért où le climat,
les travaux forcés et les constantes brimades des gardiens viennent à bout des
convictions les plus coriaces. Quelques noms Djigo Tafsir ancien ministre, Ten
Youssouf Guéye, ancien ambassadeur de Mauritanie à L´ONU y ont laissé la vie.
Bénéficiant de son jeune âge, cette épreuve a été épargné à Kaaw le plus jeune
prisonnier politique mauritanien à l´époque. Pour lui , ce sera la prison
civile de Kaédi dans le Sud pour 6 mois fermes. Mais il lui en fallait beaucoup
plus pour renoncer, car dès sa sortie il remet ca en dirigeant des nouvelles
manifestations contre l´exécution de 3 officiers noirs en décembre 1987. De nouveau
recherché, il s´enfuit à temps cette fois, et se rend au Sénégal, son oncle
maternel qui était son correspondant à Kaëdi sera arrêté et pris en otage
pendant un mois avant qu´ il ne soit liberé plus tard: " je me suis rendu
compte que la lutte pouvait être aussi plus efficace à l´extérieur du pays même
si je ne voulais pas quitter mon pays, laisser ma famille, mes amis mais il le
fallait parce qu´en prison on ne pouvait pas déranger le régime".
Exil au Sénégal
Il rejoint ses camarades qui avaient échappé à la
répression de 1986 et continue avec eux la lutte et à mobiliser autour de
l´apartheïd mauritanien. Présentes en Afrique, aux Etats-Unis, en France et
même en Scandinavie, les FLAM en un peu de temps ont réussi à cristalliser
l´opinion internationale sur les questions des droits de l´homme en Mauritanie.
Human rights watch, Amnesty international, la FIDH et autres organisations
humanitaires suivent la cause à la loupe et la Mauritanie était sur le banc des
accusés dans tous les rapports des organisations des droits humains. Et Kaaw et
ses camarades arrivent depuis Dakar, à plaider efficacement la cause à
l´étranger. A Dakar, certains partis politiques leur ont fait part leur soutien
et les invitent à leurs différentes manifestations et congrés. Mais diplomatie
oblige, les manifestations, les colloques et les interventions de Kaaw dans les
médias nationaux et internationaux sont ponctués de discrets mais fermes
rappels à l´ordre des autorités sénégalaises c´est ainsi en juillet 1999 après
avoir echappé de justesse à une extradition et au kidnapping, grâce à
l´intervention des autorités des Nations unies(HCR) Kaaw obtient l´asile
politique en Suède. Les Etats-Unis et la Suède lui offrent l´asile mais pour
des raisons stratégiques et politiques Kaaw Choisit la destination de notre
pays : " Aux Etats-unis nous avions déjà làbas des militants et qui
mobilisaient bien l´opinion américaine à travers un réseau d´amis il nous
fallait aussi des représentants dans les pays du Nord pour faire connaitre
notre cause dans cette partie de l´Europe" explique le porte-parole des
FLAM.
Deuxième
exil
Tout n´était pas facile au début pour lui, la langue, la culture et le climat, tout était différent mais c´est dans l´épreuve que retrouve le grand miltant ses forces et sa détérmination ainsi donc il commence ses contacts politiques et avec le soutien de la Fondation du premier ministre Olof Palm qui organise des rencontres avec les partis politiques, les associations des droits humains, des membres de la société civile, la presse nationale, Kaaw intégre le milieu politique suédois. Très chaleureux et au contact facile le message passe vite et Kaaw noue des contacts avec la classe politique et la société civile. Des tournées, des exposés et des conférences sur la Mauritanie sont organisées dans les lycées, colléges et universités pour attirer l´opinion sur le racisme et l´esclavage en Mauritanie. C´est dans cette campagne qu´il rencontre la réalisatrice Helen Aastrup qui voulait faire un film documentaire sur lui, qu´il arrivera à convaincre de voyager en Mauritanie pour faire un film sur l´esclavage dans ce pays. Avec des amis flamistes exilés au Danmark ils préparent ce voyage en donnant toute la littérature sur l´esclavage en Mauritanie et les contacts de SOS-Esclaves une organisation mauritanienne qui lutte pour la libération et l´émancipation des esclaves. Ce travail donnera le film "NÉ ESCLAVE", qui verra jour avec l´appui d´ Amnesty international. Ce film sera projeté dans plusieurs pays et fera objet des débats houleux aux USA et en Europe entre les partisans et les adversaires du régime déchu.
Parallélement il crée un site internet
FLAMNET pour son organisation, des informations et des débats sur la Mauritanie
y sont livrés et le forum devient le répére et le lieu d´échange de tous les
exilés politiques mauritaniens."Le site me prend tout mon temps, je me
reveille à 6 heures du matin et me couche à 1heure ou 2 heures parfois pour me
permettre de modérer les messages, heureusement qu´avec mon ordinateur portable
ou avec mon téléphone mobil je peux me connecter à tout temps et à tout lieu
sur le site". Ce qui fait l´exception du forum flamnet c´est qu´il compte
parmi ses abonnés des chercheurs, des journalistes, des diplomates, des hommes
politiques, des jeunes mauritaniens avertis et d´autres militants
panafricanistes et des droits humains dans le monde. Le site compte des dizaines de milliers de visiteurs par jour sans compter les millliers abonnés du forum qui
recoivent les messages du forum directement dans leurs boites électroniques au
quotidien.
L´espoir
En aout 2005 l´ancien dicateur est renversé
par ses anciens lieutenants mais Kaaw et ses amis flamistes ne sont pas
convaincus de la volonté réelle du changement de l´ancien directeur de la
sûreté de la Mauritanie qui dirige la nouvelle junte. Les FLAM décident de se
mettre en marge du processus de la transition pour voir plus clair sur les
vraies intentions du nouveau régime. Acculé´par l´opinion internationale la
junte au pouvoir organise des eléctions après 2 ans de "gestion calamiteuse
et de détournements des deniers publics" dira Kaaw Touré. Le Seul actif de
la junte qu´on peut juger positif c´est l´organisation des élections mais tout
le reste est nul, le chef du CMJD était arrogrant et méprisait les victimes du
régime raciste, ils partent en laissant les caisses de l´état complétement
vides". Un nouveau président est élu sans contestation. "Nous ne
pouvons être plus royalistes que le roi si les candidats eux-mêmes ont reconnu
leur défaite et la transparence des élections nous ne pouvons que prendre
acte". Aujourd´hui Kaaw et beaucoup de ses amis restent optimistes à l
avenir mais toujours prudents parce que comme il dit en politique il ne faut
jamais faire confiance à personne, il croit à la bonne volonté du nouveau
président Sidi Ould Cheikh Abdallahi mais il craint que son entourage constitué
par des anciens barrons du système bloque les réformes et la politique
d´ouverture du nouveau chef de l´Etat. " Je lui ai parlé à plusieurs fois
au téléphone et il me semble sincére, de bonne foi et décidé mais c´est
l´avenir qui le dira, je ne crois qu´aux actes concrets" témoigne Kaaw
Touré. Au mois de septembre dernier, à New York, en marge de la 62ème session
ordinaire de l'Assemblée Générale des Nations Unies, le président Sidi Ould
Cheikh Abdallahi a rencontré le président des FLAM Mr Samba Thiam, une chose
inimaginable sous l´ancien régime ensuite une nouvelle loi qui criminalise
l´esclavage vient d´être votée et le pouvoir vient d´organiser des journées de
concertation sur les déportés et le passif humanitaire des actes que kaaw juge
positifs et qui incitent à espérer mais il prône toujours la vigilance.
"Nous sommes le seul mouvement politique qui n´a jamais collaboré de près
ou de loin avec le système, tout ce qui nous intéresse c´est la justice, ni les
strapontins ni les honneurs ne sont nos préoccupations" dira t-il avec un
ton très sérieux. Il voit l´avenir des FLAM avec optimisme au pays même s´il
faut s´attendre à tous les coups parce que les "FLAM dérangent aussi bien
le système que certains partis de l´opposition" c´est pourquoi il faut
préparer le retour sans précipitation et "mettre tous les moyens et atouts
de notre côté, la bataille sera rude il ne faut pas se faire d´illusions".
Kaaw a beaucoup de projets en tête pour son mouvement, " en plus du site
internet il nous faut un journal régulier, une radio et pourquoi pas une TV? Il
faut conscientiser notre peuple et contrer la campagne de nos adversaires, la
bataille de communication est très importante dans cette lutte."
Le
mal du pays
A
quand le retour de Kaaw et des FLAM au pays? "le mouvement vient
d´organiser des débats dans nos différentes structures de base et au sein du
Bureau national nous allons envoyer ces conclusions au Conseil national qui va
faire la synthèse de nos réflexions et c´est après seulement que je saurai la
date exacte de notre retour ou de notre nouvelle orientation, je suis un
militant discipliné et je n´attends que les décisions de nos instances pour me
prononcer". Mais le pays lui manque beaucoup et il regrette déjà de ne
pouvoir revoir certains parents, amis et proches qui ont quitté ce monde et
qu´il ne pourra plus revoir "mais la première chose que je ferais une fois
rentré au pays c´est d´aller me recueillir sur leurs tombes". Le retour au
pays c´est aussi les retrouvailles avec la famille et des amis d´enfance qu´il
n´a pas vu depuis des décennies et surtout il évoque avec nostalgie son village
natal qu´il parle avec amour et passion. Le retour au pays natal est le souhait
de chaque exilé dira t-il mais la Suède est devenue sa seconde patrie où il
compte beaucoup d´amis et des camarades, un pays qui l´a accueilli et adopté
lorsqu´il fut rejeté par son propre pays , la séparation sera difficile parce
que le coeur est déjà partagé. "ne pas pouvoir voir son pays , est ce
qu´il y a de pire pour un homme mais tant qu´il y a vie il y a toujours
espoir", déclaret-il et Kaaw nous dit avec fierté qu´il ne regrette rien
de son parcours militant et s´il faut tenir encore des années ou donner sa vie
pour cette cause il le fera avec plaisir. Son souhait le plus ardent est de
voir un jour les fils de son pays reconciliés, arabes et négro-africains vivre
en harmonie et en paix dans la justice et l´égalité. Tout est possible il
suffit seulement de la volonté politique parce que les deux communautés ont
beaucoup en commun et surtout cette diversité culturelle qui devait faire sa
fierté. En attendant que ce rêve se réalise Kaaw nous dit avec un coup de
poignée levé, la lutte doit continuer.
A.
Carringhton et J. Andersson. novembre 2007.
Le Baromètre- Quotidien Suédois.
Notre combat est des plus hardis mais aussi des plus exaltants. Nous le continuerons en restant unis dans la détermination et dans la fidéli...