måndag 31 oktober 2022

DEVOIR DE MÉMOIRE SUR NOS ANNÉES DE BRAISE: Mes nuits d'interrogatoires à la gendarmerie.(Suite)


Arrivés à Kaëdi ils nous débarquent à la brigade de la gendarmerie située dans le quartier dit Moderna non loin de l´ancienne maison des jeunes. Je vois mon mentor en politique et oncle Ibrahima Mifo Sow sortir d´une salle d´interrogatoire avec ses longs cheveux non peignés, tenue sale, la fatigue et

l´insomnie se lisaient sur son visage. De l´autre côté nous voyons notre camarade Dia Alassane Aly dit Diaz isolé seul dans une cellule. Il nous voit d´une porte entre-ouverte et me salue d´un signe lointain, menotté, il me montre son dos sanguinolent. On commencait déjà à avoir une idée sur le calvaire qui nous attendait.
Après quelques minutes de concertations entre les geôliers nous sommes embraqués à nouveau pour une autre destination inconnue, c´était la compagnie de gendarmerie de Kaëdi. On y retrouve entassés dans une petite salle, sale, obscure les détenus de la 1ère vague du 28 octobre.
Ce fut des petites retrouvailles, ils nous demandaient sur les nouvelles du village et nous les demandions sur la situation dans le cachot, nous posions des questions sur leur détention et de leurs interrogatoires. Ils nous informèrent que les questions récurentes tournaient autour de la manifestation du 27 octobre, notre relation avec les Flam et des noms de certains activistes négro-mauritaniens militants des Flam recherchés toujours par la police politique.
Beaucoup de détenus me disaient qu´on leur a posés des questions sur moi et que je dois me préparer à un "interrogatoire très musclé" ( entendez des tortures) parce que la gendarmerie savait déjà que je faisais partie des initiateurs et dirigeants de la marche.
Comme de rien n´était on continuait à causer normalement et à plaisanter entre nous. Le commandant de la compagnie de la gendarmerie lieutenant Leytou Ould qui passait vers son bureau entend nos rires et rentre très furieux dans notre cellule et frappe avec toutes ses forces la porte et crie sur nous et demande à ses subordonnés de récupérer tous nos effets personnels, turbans, grands boubous, montres et nous balance : ”C´est fini les vacances, vous-êtes en prison, je ne veux plus entendre aucune voix ou bruits ici ” et sort préciptamment accompagné de ses gorilles ou subordonnés. Après sa sortie, loins d´être intimidés on continue à se regarder et à sourire. Certains tentaient de l´imiter et de se moquer de sa posture autoritaire.
On continue la soirée calmement mais dans l'angoisse totale. Ibra Mifo Sow était toujours à l´interrogatoire comme mon cousin Ba Mohamed Abou dit prof. La nuit tombe, certains dormaient et d´autres nagaient dans des pensées interminables et autres méditations profondes et se croyaient même oubliés mais à notre grande surprise vers 3 heures du matin, aux heures du crime, on entend des bruits de bottes et des gendarmes qui frappaient notre porte et criaient à haute voix : ”Réveillez-vous, réveillez vous, tous les nouveaux détenus dehors!”. On sort et on trouve le grand camion qui nous attendait devant la porte. On nous embarque encore pour la brigade de la gendarmerie situé au quartier Moderne de Kaëdi pour des séances d´interrogatoires.
Débarqués nous sommes tous dévêtus, ils enlevèrent nos bagues, bracelets, montres, chainettes, cigarettes, ils récupèrent notre argent, ils prennent tout et nous jetent dans une petite piaule sans aucune fénètre, ni éléctricité. Comme des malfrats nous sommes entassés comme des sardines dans l´obscurité totale et personne ne reconnaissait son voisin s´il ne parlait pas. A moins d'une demi heure, nos sueurs comme une pluie remplissaient les bouts du perron en eau. On respirait difficilement et sur le coup un de nos camarades A.G. W tombe en syncope. On appelle les gendarmes pour venir au secours. Ils le sortent et le couchent devant la cellule et commencent à l'éventer par des turbans et des cartons.
Chacun de nous souhaitait aller à l´interrogatoire en premier pour sortir de la piaule et respirer un peu de l'air pur dehors. Par hasard je fus convoqué le premier avec Ousmane Amadou Kane et Thiaylé Sow pour la grande confrontation avec les enquêteurs.
Je trouve le commandant de la brigade le MDL chef Ould Bamba un maure blanc avec un autre MDL négro-africain du nom de Thiam D originaire de Dioudé. Le commandant me regarda longuement et pensait certainement à avoir avec un poids plume et demanda à Thiam de s'occuper de mon interrogatoire et qu'il voulait fumer et humer un peu de l'air.
Thiam commence par des questions simples sur mon identification. Il me demande mon nom, je lui donne celui qui est sur mon état civil Mouhamadou tout en refusant de décliner mon sobriquet le plus populaire et le plus connu, Kaaw.
Après l´identification de mes parents et de ma profession, il me demande si j´ai participé à la manifestation, je réponds par l´affirmatif et il enchaine sur les motifs de notre manifestation. Je lui dit que
c´était une manifestation spontanée en guise de protestation à l´arrestation arbitraire de nos camarades.
Il avait avec lui une liste à côté et il me demande si je connaissais certains des noms comme Amadou Alpha Ba, Ibra Mifo Sow, Pr Seydou Kane, Elhadj Sidi Ngaïdé, Modi Cissé, Asset Hamadi Sall et ….Kaaw Touré …moi même!
Je réponds que je les connais tous parce qu´ils sont mes oncles et amis. Quant à Seydou Kane, je lui réponds par: ”Mais qui ne connait pas Seydou Kane en Mauritanie?". Et pour le dernier nom sur la liste, je connais bien Kaaw Touré car il s´agit bien de moi en chair et en os.
Surpris et étonné il me dit en pulaar:
”Ko aan woni Kaaw Touré ”( c´est toi même qui est Kaaw”, je lui réponds par:
" Ko miin tigi woni Kaaw" (Oui c´est moi même Kaaw) et il crie en hassaniya à son chef :
”Chef, arraay Kaaw, il est là ”(chef viens voir Kaaw, il est là).
Je voyais la joie transpercer ses yeux et il était content d´avoir mis la main sur un "Abou Nidal ”.
Son chef ould Bamba qui était parti pour fumer revient vite et n'y croit pas. Il m´ausculte de haut en bas et
s´assied sur sa table et appelle deux autres gendarmes dont un certain Hammady.
Il me demande de me déshabiller le pantalon et de ne laisser que mon calechon. Il donne l´ordre à ses sujets de me mettre les menottes, de les serrer et de
m´attacher par derrière.
Il commence d´abord par un petit cours de moral à mon égard lorsqu´il avait vu que j'étais élève en classe de Terminal et que je devais passer le BAC à la rentrée scolaire. Il me dit par une voix paternaliste que je me trompais de combat et que je suis jeune et que je devais me focaliser sur mes études avant de penser à la politique. Il rajoute que les dirigeants Flamistes qui nous manipulent ne sont que des simples cadres mécontents et que le manifeste
n´était qu´un simple chantage et du mensonge grossier et qu'il n' y avait pas du racisme en Mauritanie. Il promet de me libérer si je lui disais tout et toute la vérité. Je ne l´écoutais même pas et je maintenais ma position en refusant toute collaboration avec eux.
Il me repose la question: Avez-vous participé à la manifestation?
À suivre.
Kaaw Touré.
NB: photo prise en 1987 à Kaëdi après notre sortie de prison

DEVOIR DE MÉMOIRE SUR NOS ANNÉES DE BRAISE :LE 30 OCTOBRE 1986, LE JOUR DE MON ARRESTATION À JOWOL!


Dès l´aube de la journée du 30 octobre 1986 avant la prière de fadjr notre maison familiale, celle de l'Imam, était déjà encerclée par une vingtaine de gardes et de gendarmes bien armés venus surveiller nos déplacements. Toute la nuit certains inconnus enturbannés rôdaient autour de notre domicile.

Vers 7 h du matin un adjudant chef maure accompagné de deux gardes armés jusqu´aux dents rentrent dans notre maison et saluent mon père qui était assis sur un tapis de prière et écoutait son transitor et lui disent qu´ils sont venus pour me chercher. Il leur demande d´attendre dehors pour qu´il m´en informe. Il rentre dans notre appartement où
j´étais assis à côté de ma mère et de mes petits frères et soeurs et je venais tout juste de finir mon petit déjeuner.
Il me dit en pulaar : ”Be ngarii” (ils sont venus) parce que j´attendais depuis quelques jours à leur arrivée et à mon arrestation depuis notre manifestation contre le régime militaire. J´embrasse ma mère, mes petits frères et soeurs, je leur dit aurevoir. Je sors et trouve les hommes armés devant la porte et ils me demandèrent de les suivre. Ils m´encerclent en ”sandwich”, je sors chez moi sous le regard hagard et inquiet de mes parents, oncles, soeurs, frères et tantes tous sortis regarder la scène. Ma maman en colère les lance quelques piques et quolibets à haute voix: " Vous n'avez pas honte de mobiliser toute une armée pour prendre un gosse de 18 ans?" Balance t- elle, les dernies mots que j'entendais avant de sortir chez moi.
On se dirige vers la maison d´un autre camarade qui était sur la liste Diallo Samba Hamma, ils ne le trouvent pas chez lui et ils demandent à son père de les suivre comme son fils était absent c´est à lui de prendre sa place, crime de lèse majesté ou de parenté!
Un zélé gendarme du nom de AbouThioub, un métisse hartano-pulaar originaire de Kiffa lui parlait avec impolitesse et arrogance, nous donne des coups de crosse pour nous demander de courir. Nous trainons les pieds tout en marchant, ils nous donnaient des coups de pieds et ils nous amènent à la base militaire de circonstance située à "Toulel Tabaldé", notre terrain du football. Ils nous déposent et répartent à la recherche des autres camarades qui sont sur la liste. Aussitôt arrivés ils nous demandent de faire des mouvements abdominaux. Au même moment arrivent dans leurs filets mon petit frère âgé à peine 14 ans Baba Oumar Touré et Samba Hamma Diallo en personne. Je demande au vieux Hamma Diallo de dire que son fils est là pour qu´il soit libéré. Samba
s´annonce et ils libèrent son père. Mon petit frère Baba sera aussi libéré plus tard avant notre transfert à Kaëdi dans la journée.
Le comble de l´indignation des villageois c´est
lorsqu´ils sont partis à l´ècole arrêter le directeur de
l´école élémentaire, le vénérable homme de Dieu, notre grand-père feu Elhadj Abou Malal Ba, un homme pieux et très respecté dans le village et dans toute la contrée. Ils l'ont fait courir de l´école jusqu´à la base militaire pour le seul crime qu´il était l´oncle paternel de Amadou Alpha Ba, un des flamistes recherchés qu' ils n´arrivaient pas à mettre la main. Un autre "crime de parenté" qu'on ne trouve apparemment qu'en Mauritanie !
Ils arrêteront et feront courir aussi une autre femme enceinte qui était à terme de ses mois et qui n´avait rien fait sinon d´avoir eu le courage d´exprimer à haute voix son indignation face à leurs agissements ignobles contre le vieux marabout et les jeunes arrêtés.
En une seule journée plus d´une trentaine de jeunes sont arrêtés et regroupés à "Toulel Tabaldé" transformé à l´occasion en camp de détention avant notre embarquement vers midi dans des camions militaires pour la brigade et la compagnie de gendarmerie de Kaëdi à 18 km du village natal.
Dans le camion militaire on remarquait déjà le mécontement de certains gardes négro-africains qui exécutaient l´ordre de leurs supérieurs malgré eux. En passant au marché du village les femmes nous applaudissaient et exécutaient des chants d'hommage en notre honneur, nous répondions par des V de victoires et des sourires malgré l´escorte et la présence de nos gardes pénitenciers.
Loins d´être intimidés, on causait et plaisantait et certains disaient qu´on allait aux obséques de l´ancien dirigeant historique du mouvement de libération le Frelimo et président mozambicain Samora Machel qui venait de décéder dans un crash d´avion le 19 octobre de la même année dans le territoire Sud-africain à quelques centaines de mètre du territoire mozambicain.
LLC!
À suivre.
Kaaw Touré.
NB: Photo prise à Kaëdi en 1987 après ma sortie de prison.

NOTRE COMBAT

Notre combat est des plus hardis mais aussi des plus exaltants. Nous le continuerons en restant unis dans la détermination et dans la fidéli...